Nous voilà donc partis d’Agen, à jambes raccourcies sur les petites routes en direction de Périgueux.
Alors que le canal était tout plat, le relief se dessine et laisse place à de magnifiques étendues verdoyantes (attention, notre proverbe indétrônable et favori : « c’est vert, c’est louche. »).
Samia nous avait dit à Agen que les pruneaux ne viennent pas véritablement d’Agen, comme leur nom laisse à penser, mais plutôt de l’arrière pays, du Lot et Garonne essentiellement. Et effectivement nous roulons le long de grands champs de fruitiers, et pas seulement de pruniers. C’est verdoyant, plutôt ensoleillé (entre deux nuages), et les bâtisses mélangent leurs briquettes garonnaises à de la pierre blanche. Souvent au dessus des fenêtres, on trouve un petit arc de cercle de briques qui relève la couleur de la façade.
Et j’ai envie de dire que là commence vraiment notre voyage comme on l’avait imaginé : perdus sur des petites routes de campagne au milieu de paysages un peu différents pour nous, on découvre, on savoure, on s’émerveille, on se régale. Et sans pluie!
Les enfants sont super motivés, mais aussi pour une autre raison : ce soir, on va camper pour la première fois! Alors pour eux, n’importe où on les amène, ils s’en fichent : aujourd’hui, ils planteront la tente et gonfleront leurs matelas! C’est ça leur terre promise!
Après 59km et 1030m de D+, on a fait une halte près de Lauzun dans un petit camping désert, en mode sortie d’hivernage et pas encore installé, où les douches étaient froides, mais le potager super fourni. Le gérant très gentil nous a réchauffé la soirée en nous cuisinant des magrets, très appréciés. Et surtout, on a dormi sous la tente! Alors douche froide ou pas, désert ou pas, feuilles mortes pas nettoyées ou pas, c’était top.
Le lendemain, J12, lundi de Pentecôte. On plie rapidement, juste avant la pluie. On reprend la route entre les verts champs et la pluie se fait plus intense. On arrive à Lauzun, petit village mignon, on cherche un abri (et du pain), et on tombe sur « le café des sports » où on se réfugie.
Et là, la magie du voyage opère. Le gérant, Jean-Paul, nous prépare des laits chauds, et sa curiosité le pique. Au fur et à mesure de la conversation, nous sympathisons, les enfants écrivent des cartes postales, on laisse la pluie tomber, à l’abri et sereins. Nous expliquons notre voyage, notre curiosité de découvrir le terroir, et un autre Jean-Paul, client, détenteur des clefs du château, propose de nous le faire visiter.
Et c’est entre deux averses que nous découvrons le magnifique château de Lauzun, qui date, selon les bâtiments et les constructions-destructions-reconstruction, du 12ème au 17ème siècle, période à laquelle il a été élevé en duché. Le duc de Lauzun vivait à la cour du roi, et Jean-Paul est inépuisable en anecdotes courtisanes croustillantes. Il nous a conté l’histoire de chacune des pièces du château, et des magnifiques cheminées sculptées qui regorgent de symboles et d’histoires. Le château est en partie habité actuellement, et a été restauré et meublé par les actuels propriétaires.
C’était vraiment une visite surprise et surprenante, qui nous a cueillie au détour d’une curiosité fortuite sur la région. Merci Jean-Paul pour ce moment improbable.
Au café, on retrouve l’autre Jean-Paul qui lui aussi nous a cueilli par sa bienveillance et sa gentillesse, sa patience et sa générosité.
C’est donc tout reboostés, le sourire aux lèvres et au cœur, et le soleil accroché dans le ciel que nous avons repris les routes du Périgord, ou devrais-je dire, le pays des tondeuses à gazon.
Car ce jour-là, le Périgord s’était donné RDV pour arpenter son grand jardin à l’herbe parfaitement verte. On en a d’ailleurs déduit que le prix du terrain devait être abordable au vu de la taille des parcelles sur lesquelles trônent de jolies petites maisons. Et leurs propriétaires poussant la tondeuse.
De colline en colline, on admire le paysage, jusqu’à Sainte Foy la Grande où nous plantons notre tente au camping. Premier repas du périple dans notre popote, on est bien, on profite de ce gazon bien tondu.
Bilan du jour : 59km D+ 670m
J13, mardi 25 mai, on repart vers l’Ouest, direction Saint Émilion. En partant, on croise Lulu qui tond sa pelouse. La routine.
Les maisons en bloc de pierres blanches se font font de plus en plus présentes. Petites ou un peu plus grandes, elles ont l’architecture typique des petites maisons bordelaises. On fait coucou à Gégé qui tond sa pelouse, et les champs de vignes viennent ponctuer le paysage. Puis les châteaux (Eliot n’est d’ailleurs pas d’accord, ce n’est pas des châteaux : il n’y a pas de pont-levis), et enfin les petits domaines entourés de murets, gardant jalousement ses ceps pour lui. C’est magnifique. Saint-Emilion est digne de sa réputation, en tout cas dans ses paysages. Au détour d’un domaine, rencontre surprenante : un monsieur est en train de désherber une vigne à l’ancienne, avec un cheval de trait pour tirer sa charrue! Le spectacle est captivant. Et au loin, on aperçoit une autre parcelle du domaine, immense, également en train de se faire désherber par d’autres chevaux. C’était incroyable ! On est bien restés 10mn à observer ce spectacle improbable.
On a cherché un caveau pour faire une dégustation, en vain. Tout était fermé. Covid? Sans doute, mais rien que le spectacle des domaines, châteaux et chemins tortueux à travers les vignes, bercés par le ronron de la tondeuse de JP, a suffi à combler notre journée.
On a aussi fait des rencontres : un couple de vélocyclistes Parisiens en tandem assis-couché (et un petit habitant clandestin dans la passagère avant), partis pour 15j en amoureux à travers le Périgord. Bonne route les amoureux! (C’est rassurant, on n’est pas les seuls fous!)
Cette jolie journée de 78km D+ 890m nous a mené au camping de Saint André de Cubzac, en bord de Gironde.
J14, mercredi 26 mai. 51km D+ 630
Cap sur Blaye, on longe l’estuaire de la Gironde par la route cyclable de la VélOdyssée. Il y a des petites grimpettes à travers vignes, mais l’environnement est magnifique : on alterne vignes, petits villages de pêcheurs, et carrelets (ce mot désigne les filets de pêche carrés qui sert à pêcher depuis des cabanes sur pilotis). La marée est basse, les barques sont échouées, les épaves ressortent.
Au détour de la voie verte, on croise le gang des barbes blanches à vélo : Philippe, Bernard et Gérard, les trois mousquetaires du mollet. Rire et bonne humeur, amitié et curiosité, un combo qui nous a fait passé un franchement bon moment. Chapeau le gang!
A Blaye, on découvre la citadelle du Fort Vauban. Comme tous les forts du même nom de son constructeur de génie, elle est magnifique. On y pic-nique tout en haut, belle vue sur l’estuaire et pelouse impeccable.
Et puis c’est l’heure du bac! La grande aventure.
Le bac, c’est le grand bateau à fond plat qui va nous faire traverser l’estuaire, jusqu’à Lamarque, dans le médoc, ou nous avons prévu de faire escale chez les copains.
Encore une aventure, encore une régalade! Le bac est super grand, impressionnant, plein de bruits de moteur et de portes « pont-levis », de voitures et de passagers curieux. Eliot se fait copain avec la moitié du bateau grâce à sa tchatche naturelle. La traversée normalement courte dure un peu, car à cause de la marée basse, le bateau fait un grand détour pour éviter de s’enliser au milieu de la Gironde.
Et à l’arrivée, oh, surprise! Les copains sont là à nous attendre!
C’est les grandes retrouvailles! On charge Marius à la place d’Anaïs (parce que faire du tandem, c’est vraiment trop tentant) et Anaïs continuera en voiture jusqu’à la maison.
Nous, on file casques au vent. Et à la sortie de Lamarque, stupéfaction : sans mentir et sans exagérer, on se retrouve tout petits au milieu de vignes à perte de vue. Autour de nous, à 360 degrés, des vignes, des vignes, des vignes. En même temps, il faut bien qu’il y ait de quoi remplir les milliers de barriques produites chaque année dans le Médoc, mais avouons que cette marée est impressionnante et bien kiffante.
Ah, je sens qu’on va (re)apprécier ce médoc, chez nos amis Tom et Camille (notre illustratrice préférée).